la chapelle Saint-Lazare
En suivant les quais de la Loire et en prenant la direction du Val, le promeneur peut voir au croisement de la rue des Fourches et de la rue de l’Usine-à-Gaz, c’est-à-dire sur le très ancien chemin de Gien à Nevoy, un bâtiment qui semble ancien et qui se trouve en piteux état. Il s’agit de la chapelle Saint-Lazare, probablement l’édifice le plus ancien de notre ville.
La chapelle Saint-Lazare… ou ce qu’il en reste…
Anonyme, isolée, cachée juste derrière les bâtiments de l’hypermarché Auchan qui se substitua (à l’époque sous la bannière de Mammouth) à ceux de la faïencerie dans les années 1980, cette chapelle est non seulement aujourd’hui l’édifice le plus ancien conservé dans la ville de Gien mais historiquement surtout l’une des toutes premières églises construites dans cette ville.
Passée au travers des velléités de reconstruction des différentes périodes historiques (chance que n’a pas eu la collégiale d’Anne de France au XIXe siècle), épargnée presque miraculeusement par tous les conflits : guerre de Cent Ans, guerres de religions, Révolution, et enfin bombardements dévastateurs et meurtriers de juin 1940, cet édifice qui représente pratiquement désormais le dernier vestige du Gien médiéval, est aujourd’hui en situation d’éminent péril et risque de disparaître si rien n’est fait pour le sauver, victime de la méconnaissance qu’ont les giennois de cette modeste et secrète petite construction, cachée à leurs yeux, en marge du centre ville, derrière des bâtiments commerciaux dont la laideur n’incite guère à la promenade. Mais quelle est donc l’histoire de cette église et comment en est-elle arrivée à un tel degré de délabrement ?
Le pignon occidental et les bâtiments commerciaux de l’hypermarché… mariage osé… pour le meilleur? Surtout pour le pire au vu du résultat…
L’église des déshérités
La chapelle Saint-Lazare date du XIIIe siècle. Probablement édifiée avant 1250, cette église est celle de la maladrerie de Gien. Aussi nommés léproseries, ces établissements, qui fleurissent au XIIIe siècle en marge d’un grand nombre de villes et bourgs de France, sont destinés à accueillir les malades afin d’endiguer un mal contagieux et incurable : la lèpre.
Son origine se perd dans la nuit des temps. Connue depuis l’Antiquité (600 av J.C au moins), cette affection terrible essentiellement présente de façon endémique dans les pays d’Asie et du Moyen-Orient connaît une nette recrudescence en Europe, particulièrement en France, à partir du premier tiers du XIIe siècle. En effet, les échanges avec le Moyen-Orient s’intensifient à cette époque ; de nombreux pèlerins et croisés, de retour de Terre Sainte, rapportent le terrible mal dans leurs bagages.
Devant ce mal spectaculaire, extrêmement handicapant, incurable, qui terrifie les populations et qui fait de son porteur un paria, rejeté par la société comme par sa propre famille, une seule solution : le confinement. Dès le début du XIIe siècle, à Jérusalem, les hospitaliers de l’ordre de Saint-Lazare s’efforcent de prendre en charge ces malheureux. Cet ordre sera introduit dans le royaume de France par une charte du roi Louis VII le Jeune, en 1163. Dès lors le royaume se couvre d’établissements d’importance diverse qui s’installent hors les murs des villes et bourgs. Les lépreux et plus généralement les malades contagieux, qui ne sont pas admis à entrer en ville y sont internés, évitant tout contact avec la population.
En 1244, on compte en France deux mille léproseries. Pour « bénéficier » des services de la léproserie, le malade passe devant un tribunal qui prononce la sentence d’internement dans le lieu de sa naissance.
Une église giennoise du XIIIe siècle
Lépreux agitant sa cloche afin de signaler son approche. Manuscrit latin, XIVe siècle.
Si nous n’avons pas trouvé pour le moment de traces écrites attestant de la création de la chapelle au XIIIe siècle, des archives aussi anciennes n’ayant trop souvent pas survécu, l’architecture du bâtiment et le fait que l’essentiel des léproseries du royaume aient été élevées au cours de la première moitié de ce siècle nous renseignent aussi sûrement qu’une charte en bonne et due forme.
Ses formes sont simples, ses proportions modestes. Les premières témoignent – et c’est là tout une partie de l’intérêt de ce bâtiment aujourd’hui – de l’art du bâti religieux dans le giennois à pareille époque, les secondes de la modestie des résidents de cette institution.
Ses murs sont pour une bonne part construits en rognons de silex assisés dans un épais mortier, une technique et des matériaux communs aux deux rives du fleuve dans la région de Gien et qui, si elle fait peu appel aux hautes qualifications des tailleurs de pierre, nécessite néanmoins des maçons en pleine possession de leur métier.
La nef est bien sûr unique. Une toiture à deux pans couvre originellement l’édifice. A l’Ouest elle s’accroche à un haut pignon triangulaire, à l’Est elle s’achève en croupe pour couvrir le chevet polygonal à trois pans.
A l’intérieur de ce petit édifice la lumière pénètre timidement par de petites lancettes gothiques dont l’arc brisé est à peine ébauché et l’étroitesse telle qu’elles s’apparentent davantage à des fentes d’éclairage qu’à de véritables baies.
Encadrement de baie aux formes archaïsantes mais probablement issue de la restauration d’Anne de Beaujeu.
Le petit vaisseau unique est couvert par une voûte, une voûte en bois, voûte dite lambrissée car constituée d’un lattis cloué directement sur une charpente gothique en berceau brisé. Très légères, très peu chères, de telles voûtes se retrouvent du Nord du Puy-de-Dôme jusque dans le Gâtinais et la Puisaye, en passant par le Bourbonnais et le Berry sur des églises de taille extrêmement variable : de la chapelle Saint-Lazare à l’abbatiale de Ferrières-en-Gâtinais ou même à celle du Mont-Saint-Michel.
Du XIIIe siècle à 2011, petit historique d’une miraculée en sursis
Durant la guerre de Cent Ans (1337-1453) les bandes de mercenaires, routiers à la solde des Anglais, sous les ordres notamment du capitaine Knolles détruisirent énormément d’églises dans tout le centre de la France. Cibles faciles, elles sont mises à sac pour faire du butin et souvent ruinées. La chapelle Saint-Lazare échappa-t-elle à ce peu sympathique traitement ? Seule ou presque l’analyse au Carbone 14 des bois de sa charpente aurait pu nous l’apprendre.
Nous ignorons donc quel fut son destin à cette époque, en revanche, nous pouvons consulter des actes de nomination d’administrateurs de la maladrerie par l’évêque d’Auxerre : en 1420 messire Robert François, en 1466 Jacques Pommier, puis en 1480 Guillaume Bizot. Il est par ailleurs certain qu’Anne de Beaujeu a fait procéder à sa restauration. Quelques années après le passage des troupes anglaises voilà peut-être un indice à considérer.
Sous Louis XIV, les biens de la maladrerie de Gien sont dévolus au Mont Carmel. Ils comprennent à Gien des vignes, des terrains, des jardins, des immeubles situés dans le quartier du Champ. En 1695, ils sont transférés en propriété à l’Hôtel-Dieu de la ville. Pendant la Révolution, la chapelle est désaffectée. Comme l’ancien couvent des pères Minimes, elle devient la propriété de la faïencerie et sert de magasin. Elle est ainsi entretenue pendant 165 ans par la manufacture de faïences. En juillet 1944 lors du bombardement, la toiture est endommagée et remise en état par les soins de la faïencerie. Les Giennois se souviennent en effet qu’il y a encore 30 ans, cet édifice était en parfait état de conservation et présentait charpente et toiture abritant le modeste volume de sa nef unique.
Malheureusement, la crise économique, qu’elle subit dans les années 80, oblige la faïencerie de Gien à se séparer d’une partie de ses bâtiments et notamment de la chapelle Saint-Lazare. Elle est successivement vendue à plusieurs propriétaires privés. Ce transfert de propriété, sur lequel la ville n’a malheureusement pas pu faire jouer son droit de préemption, se termine par un abandon total de ce témoin de notre histoire et malgré les appels au secours d’éminents membres de la SHAG, la toiture s’est effondrée et le bâtiment présente aujourd’hui un piteux visage.
Ville martyre de la seconde Guerre Mondiale, la ville de Gien a perdu beaucoup de son patrimoine ancien. Si les immeubles issus de la Reconstruction exemplaire de la ville deviennent, 70 ans plus tard, un patrimoine à considérer, à préserver et à valoriser, Gien ne peut se permettre de laisser disparaître un si précieux témoignage de son histoire.
Etant donnée la modestie de l’édifice, et malgré son état actuel, sa restauration ne pourrait dépasser au maximum quelques dizaines de milliers d’euros. Aussi la SHAG profite de cet article pour interpeller propriétaire et municipalité en place pour que des pourparlers puissent s’engager afin d’aboutir à la sauvegarde de ce morceau si modeste mais si important de notre patrimoine. Elle assure l’un comme l’autre de sa détermination, et fera tout ce qui est en son pouvoir pour parvenir à cet objectif de conservation.
Antoine Estienne Michel Tissier
Historien de l’Art Président de la SHAG
Membre de la SHAG
Chargé de mission recherche en histoire médiévale