Anne de France (1461-1522)
Anne de France naît au château de Genappe, dans l’actuel royaume de Belgique, en avril 1461 (probablement le 16) alors que son père, Louis, dauphin de France, en délicatesse avec son propre père le roi Charles VII, y est accueilli par le duc de Bourgogne Philippe III le Bon (1396-1467). Par sa mère, Charlotte, Anne descend de la Maison de Savoie, son grand-père étant le duc Louis Ier. Elle n’a que deux ans lorsque son père monte sur le trône de France pour devenir Louis le onzième. La jeune princesse est élevée à l’écart des affaires de la cour au château d’Amboise où réside sa mère, Louis ayant choisi de s’établir au château du Plessis-lès-Tours. A Amboise Charlotte de Savoie procure à ses deux filles (Jeanne est née en 1464) une éducation raffinée. Anne fait vite montre de talents et d’une intelligence hors du commun qui amènent son père à s’intéresser à elle. Intérêt qui se renforce avec le temps car si Charlotte donne finalement un héritier mâle viable — le futur Charles VIII — à son royal époux, le dauphin s’avère nettement moins éveillé que peut l’être sa sœur aînée.
Nicolas de Lorraine, petit-fils du roi René d’Anjou, beau parti auquel Louis XI avait fiancé Anne dès sa petite enfance étant mort en 1473 quelques jours après avoir rompu ses promesses, il lui fait épouser Pierre de Bourbon (1438-1503), Sire de Beaujeu, de vingt-cinq ans son aîné. Bien qu’il ne s’agisse que du cadet de la maison ducale de Bourbon, ce mariage est loin d’être une mésalliance car l’important écart d’âge entre Pierre et ses deux frères dépourvus d’héritiers légitimes fait espérer un héritage considérable, le duché de Bourbon et d’Auvergne représentant l’une des deux dernières principautés indépendantes du royaume de France. Louis XI s’attachait ainsi la fidélité de l’héritier putatif d’une famille avec laquelle les Valois n’étaient pas au mieux. En fait un coup à plusieurs bandes bien dans la manière de l’Universelle Aragne.
De santé fragile, Louis XI, victime de plusieurs attaques, voit arriver sa fin dès le début des années 1480. N’accordant sa confiance qu’à un très petit cercle de fidèles, le roi confie l’éducation et la garde du prince royal à Anne et à son mari Pierre, devenu en quelques années son homme de confiance. Le mot régence n’est alors pas prononcé car le dauphin Charles a 12 ans révolus, l’âge de la majorité royale étant fixé à 13 ans. Or son père le sait à la fois trop faible et trop immature pour régner à ce stade alors qu’autour de lui les appétits et les couteaux s’aiguisent. Désigner Anne et Pierre régents les aurait condamnés à ne devoir exercer le pouvoir que l’espace de quelques mois au bout desquels le jeune monarque aurait risqué de se trouver bien seul. Au lieu de cela, qualifiés de gouverneurs du futur roi Charles VIII leur place à ses côtés et à la tête des affaires du royaume ne souffre pas de limite de durée. Cette régence qui ne dit pas son nom au lieu de s’exercer six mois va durer huit ans. Sa fin marquera également son apothéose par le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne orchestré de main de maître par Anne et Pierre dans la droite ligne des préceptes politiques de Louis XI, et dans le prolongement de son œuvre de mise au pas des grands féodaux en vue de la consolidation de l’autorité royale et de l’unification du territoire par la confusion de ce dernier avec le domaine royal.
Anne n’a que 22 ans à la mort de Louis XI et cette toute jeune femme va se révéler d’une intelligence et d’une habileté exceptionnelles. Femme de tête, de pouvoir, elle convoque les Etats Généraux à Tours au lendemain du décès de son père, et pour calmer les contestations des grands — la régence aurait dû en toute logique être exercée par le cousin Louis d’Orléans, futur Louis XII, dont le roi défunt se défiait — n’hésite pas à sacrifier des créatures honnies de son père comme Olivier le Daim et Jean de Doyat. La jeune femme gagnant peu à peu en influence et en assurance se fait cheffe de guerre lorsqu’éclate la Guerre Folle en 1485, révolte des grands féodaux qu’elle mate sans faillir en 1488. Elle apporte également son soutien militaire à Henri Tudor contre Richard III durant la Guerre des Deux Roses. Poursuivant la politique matrimoniale développée par son père et dont elle fut elle-même le jouet, elle rompt opportunément les fiançailles de son frère le dauphin Charles avec Marguerite de Bourgogne pour lui faire épouser Anne de Bretagne et ainsi rattacher le duché à la France.
Parallèlement, Anne de France manœuvre pour récupérer, pour elle et pour son époux, le duché de Bourbon et d’Auvergne après la mort de son beau-frère le duc Jean II le 1er avril 1488. Nantie de sa force de persuasion et de son charisme elle parvient à extorquer à son autre beau-frère, Charles de Bourbon, cardinal archevêque de Lyon, la couronne ducale contre la concession de l’usufruit viager du seul Beaujolais. Le manque à gagner s’avérerait d’ailleurs minime car l’encombrant ne mit pas six mois à passer l’arme à gauche.
Tout en continuant d’administrer le royaume au nom de Charles VIII, le nouveau couple ducal du Bourbonnais se lance dans des travaux d’embellissement et d’agrandissement des châteaux, églises et palais de la principauté. Un territoire cher au cœur de Pierre, vital à l’esprit d’Anne, contrainte par son sexe à entretenir là sa plus grande contradiction : avoir poursuivi la politique de lutte contre les grands féodaux lancée par son père, mais ne pouvant ceindre la couronne royale elle-même en vertu de la loi salique, devoir se muer elle-même en grande féodale à la tête de la dernière grande principauté indépendante en plein cœur du royaume de France pour espérer conserver son influence après la fin de la régence.
Après l’austérité qui avait caractérisé la cour de Louis XI, celle d’Anne et Pierre, tant à Amboise qu’à Paris ou Moulins rayonne comme l’une des plus brillantes d’Europe, accueillant de très nombreux artistes venus de toute l’Europe occidentale, de Jean de Chartres à Jean Hey. Esprit curieux, toujours en éveil, Anne de France représente elle-même l’une des intellectuelles les plus brillantes de son temps. Après une seconde régence — officielle cette fois — qui intervient entre le début de l’année 1494 et la fin de 1495 qui voit la capitale du royaume transférée officiellement à Moulins, elle profite du retour de son frère de sa campagne d’Italie pour prendre à son service certains des artistes qui l’accompagnent, et fait ainsi éclore pour la première fois l’art de la Renaissance en France.
Malheureusement le grand projet dynastique d’Anne et Pierre ne se concrétisera jamais. Leur fils et héritier Charles, comte de Clermont, meurt en 1498, seulement âgé de 22 ans. La même année le royal frère d’Anne, Charles VIII, expire après s’être fracassé le crâne contre un linteau de porte au château d’Amboise. L’autre enfant du couple ducal, Suzanne, née en 1491, chétive, épousera un cousin, Charles de Bourbon-Montpensier en 1505, mais leurs propres enfants ne vivront pas. Suzanne elle-même meurt en 1521 léguant tous ses biens à son époux. Anne consacre les derniers mois de son existence à tenter l’impossible pour faire de son gendre l’héritier légitime du Bourbonnais, bien que celui-ci lui ait été transmis par voie féminine, et contre les revendications de Louise de Savoie. La mère de François Ier qu’Anne connait particulièrement bien pour l’avoir en partie élevée à la cour de Moulins étant en effet une nièce de son défunt mari Pierre de Beaujeu, fille de sa sœur Marguerite de Bourbon (1438-1483). Cette ascendance faisait donc de Louise une prétendante au titre ducal en tant que dernière descendante directe du duc Charles Ier.
Anne s’éteint le 14 novembre 1522 dans son château de Chantelle, pressentant vraisemblablement l’issue funeste de cette bataille juridique. Le Bourbonnais ne lui survécut pas même un an. Spolié, trahi, Charles III, dernier duc de Bourbon, connétable des armées de France, qui avait notamment remporté pour son jeune roi la bataille de Marignan, est contraint à la fuite, se jetant dans les bras de Charles Quint, son suzerain pour la partie des terres bourbonnaises sise en territoire d’Empire. Saisi, le duché de Bourbon est remis à Louise de Savoie et finalement réuni au domaine royal après la mort de cette dernière survenue le 22 septembre 1531.