CINQUANTE ANNÉES PASSÉES
(Extrait du bulletin n° 35 de décembre 1991)
C’est le 26 décembre 1922, au 4, place Jean-Jaurès à Gien qu’est fondée la Société Archéologique du Giennois, par six Giennois qui définissent son but dans leurs statuts : l’étude des monuments, des coutumes, de l’histoire, de l’art du Giennois. Entendons-nous bien ; le Giennois n’est pas une région naturelle ; il n’est pas non plus un territoire administratif. Dans l’esprit des six fondateurs de 1922 et dans l’esprit de bien d’autres, c’est l’arrondissement de Gien tel qu’il a été défini par l’arrêté du 28 Pluviôse An VIII (17 février 1800) instituant les préfectures et sous-préfectures, l’arrondissement de Gien étant le troisième du Loiret qui en comptait 4. En 1922 l’arrondissement de Gien existe encore puisque chacun le sait, il fut supprimé par le décret du 10 septembre 1926 et fut administrativement rattaché à l’arrondissement de Montargis. Quoi qu’il en soit le mot giennois désigne toujours, et les habitants de Gien et le territoire dont nous venons de parler.
Le premier (et le seul) président de cette société fondée en 1922, fut Me Georges DEVISME, notaire honoraire à Gien, prédécesseur médiat de Me Jean Moutardier, de 1907 à 1927. Diverses études de ses membres furent publiées dans les journaux locaux : Le Travailleur, l’Indépendant de Gien ou bien dans le bulletin paroissial de l’époque. Les membres se réunissaient chez l’un d’eux, le plus souvent chez M. Jacques CHEVALLIER, géomètre, 16, place des Alliés, dont l’immeuble possédait une belle façade ordonnancée de la fin du XVIe et portait la date de 1581. La sœur de celui-ci, Mlle Madeleine CHEVALLIER, fut secrétaire de la société et en fut la seule.
Cette société a publié quatre bulletins ; le n° 1 est daté de 1934 et le n° 4 de 1945. Sur 14 études publiées, 10 sont de Me G. DEVISME. Cette société ne recrutait pratiquement pas et le nombre de ses membres ne dut jamais dépasser la dizaine.
Il fallut les destructions de juin 1940 pour que la population giennoise prit conscience du patrimoine artistique qu’elle venait de perdre. A la faveur des déblaiements, la récupération de fragments d’architecture sculptés ou non, excitèrent l’intérêt et surtout firent comprendre la valeur du peu qui n’avait pas été anéanti. Ce fut un sursaut remarquable qui eut comme conséquence la création d’une nouvelle société locale.
Le 2 octobre 1941, dans la grande salle du rez-de-chaussée à l’extrémité de l’aile est du château de Gien, une réunion préparatoire à la fondation de la société historique et archéologique du Giennois s’est tenue dans l’après-midi.
Après approbation des statuts, avant même que le règlement intérieur ne soit adopté, M. André BARBIER était élu président. Il avait su, en effet, réunir un certain nombre de personnes autour de l’idée de découverte, d’étude, de communication et de publication de tous documents en rapport avec le passé « giennois ». Il donna à cette assemblée une nouvelle jeunesse, qui, il faut bien le constater maintenant, bénéficiait du climat de patriotisme et de quasi-résistance de ce temps-là. (Le 7 octobre, à 15 heures, est tenue la première séance de travail).
Le 31 octobre 1941, fut mis en chantier le premier bulletin de la nouvelle série. Une liste des membres arrêtée au 1er avril 1942, comporte 62 personnes parmi lesquelles sont six membres de l’ancienne société. Ainsi l’amalgame était réalisé sans heurts et pour le plus grand bien des années à venir.
Le 31 octobre 1943, M. Maurice NOËL, receveur-percepteur de Gien, premier vice-président, assure la présidence des séances, M. André BARBIER éprouvant de plus en plus de difficultés à descendre de Paris. Le 4 novembre 1945, M. Jean MEUVRET, est nommé président. Le 27 février 1949, retenu à Paris par de multiples obligations professionnelles et surtout accaparé par un énorme travail, il décline le poste de président. Son œuvre ne parut qu’après sa mort survenue en 1973. Il s’agit du monumental ouvrage en 3 tomes et 6 volumes dont le titre est : « Le problème des subsistances à l’époque de Louis XIV ». Les tomes 1 et 2 (4 vol.) parurent en 1977, le tome 3 (2 vol.) parut en 1988. Cet ouvrage posthume publié 4 ans et 15 ans après sa mort, l’a été par les soins de son épouse Colette Meuvret. Pour l’éloge de ce monument, voici ce qu’en a écrit M. Pierre CHAUNU, de l’Institut : « Jean MEUVRET n’a pas sacrifié un maravédis de la rigueur critique du XIX* siècle. Elle vient de loin : l’humanisme italien, les bénédictins de Saint-Maur. Jean MEUVRET est le représentant le plus authentique de la « nouvelle histoire économique » qui mesure, compte et modélise. Ajoutez qu’il écrit comme on ne sait plus écrire et que, né en 1902 comme Braudel, cet urbain comme il n’est pas possible de l’être, a connu les champs… » (allusion évidente à sa modeste propriété de « Maison Seule », commune de Nevoy, où il a souvent résidé, ce qui nous valut l’honneur de l’avoir comme président). Le 27 février 1949, ai-je dit plus haut, il cède la place à M. Georges DEVILLE, receveur-percepteur de Gien.
Le 26 février 1950 lui succédait Mlle Madeleine CHEVALLIER, qui fut secrétaire de l’ancienne société. Mlle CHEVALLIER conservera la place de la présidence jusqu’à son décès survenu en juillet 1980. Elle était comme la personnification de l’histoire locale et la survivance d’une couche de la population qui, avant tout, gardait pieusement le culte de Gien et défendait farouchement un état d’esprit conservatiste, un peu idolâtre du vieux mythe de Genabum… Son état de santé devenant précaire, c’est M. André BARBIER, revenu prendre sa retraite à Gien, qui présidera à nouveau nos séances. Elles ont lieu habituellement à son domicile, sont de plus en plus espacées, et ne réunissent que peu de monde. Ce fut pourtant une période active. Nous collaborions, et collaborons toujours aux fêtes historiques organisées par le Comité des Fêtes de Gien que présidait alors M. Raymond JATTEAU et qui était aussi vice-président de notre société. Nous avions alors un rôle de documentaliste (comme l’on dit maintenant), et apportions notre contribution aux expositions thématiques en rapport avec ces fêtes. Les pages du Journal de Gien nous étaient ouvertes (elles le sont toujours) et, grâce à Raymond JATTEAU nos bulletins étaient imprimés à moindre frais. Ses libéralités furent nombreuses et il est aujourd’hui essentiel d’évoquer et de saluer sa mémoire.
Les deux points forts de nos expositions furent à n’en pas douter, les fêtes médiévales Saint-Louis (août 1973) et le Ve centenaire d’Anne de Beaujeu (août 1983). Il faut ajouter l’exposition du 150e anniversaire de l’ouverture de la Caisse d’Epargne de Gien marqué, en octobre 1985, par une exposition confiée entièrement à notre société, avec la rédaction d’une histoire de cette caisse éditée en plaquette, œuvre de M. Marcel PETIT. M. Marcel PETIT est également l’auteur d’une petite histoire de Gien. En 48 pages illustrées, tout est dit de notre histoire et son prix, voulu modique, en assure une bonne diffusion. M. Marcel CHAMPAULT qui a accumulé une importante documentation tant écrite qu’iconographique, a publié en supplément de nos bulletins une brochure, également bien illustrée, sur les Combats de Gien, 15-19 juin 1940, travail remarquable édité en mai 1983.
Nous avons aussi présenté, lors du comice agricole de Gien en 1984, des documents provenant des Archives départementales du Loiret dont les premiers plans cadastraux des 12 communes du canton de Gien. Pour le comice de juillet 1990, à partir de macrophotographies de monnaies antiques, un bestiaire d’animaux domestiques ou familiers était exposé dans notre salle de séances, de même qu’en juillet 1989 une présentation intitulée : « Grandeur et misère des Assignats » marquait notre contribution aux manifestations du bicentenaire de 1789.
Il faut citer pour être complet, la réalisation d’un diaporama riche en documents évocateurs et souvent émouvants, de ce que furent les journées de juin 1940, œuvre de Mme et M. Marcel CHAMPAULT et de leur fils. Ce diaporama projeté de nombreuses fois à Gien, et en dehors de Gien (jusqu’à Tours) sans oublier sa présentation dans les écoles, eut comme conséquence le montage de deux importantes expositions, l’une au Centre Anne-de-Beaujeu il y a déjà 6 années, en complément du diaporama présenté pour la première fois le 14 mars 1985. La deuxième exposition installée à la salle des fêtes en juin 1990 était un indispensable complément à la commémoration du 50e anniversaire des combats de Gien.
Que dire de nos bulletins ? Ils sont modestes en nombre (34) et deux numéros hors-série. Et c’est ici le moment de rendre hommage à Georges LOISEAU, modeste artisan giennois, qui payant de ses deniers des recherches de documents dans les grands dépôts d’archives, a donné 17 études, toutes d’histoire locale. Un Orléanais, mais qui très souvent venait dans notre Giennois pour prospecter, prendre contact, étudier, dessiner aux fins de publications d’états et d’inventaires, a donné à nos bulletins des travaux toujours consultés avec profit, je veux parler de M. l’abbé André NOUEZ. Ce sont de remarquables études allant de la préhistoire au gallo-romain. Décédé le 17 février 1971, notre société prit l’initiative, en collaboration avec la Société Archéologique de l’Orléanais et l’Association des Naturalistes Orléanais et de la Loire moyenne (dont il fut l’un des fondateurs), de publier un numéro spécial de « Mélanges à la mémoire de l’abbé André Nouel », édité courant 1972.
Je ne peux, évidemment, prolonger cette énumération sinon préciser que ce sont une trentaine d’auteurs qui ont publié dans nos pages 170 études dont 9 représentent la totalité d’un bulletin.
En guise de conclusion, c’est dire combien notre société s’imbrique, et c’est son but, ce pourquoi elle a été fondée, dans la vie culturelle de notre cité et de notre région proche. Elle souhaite continuer, au mieux de ses moyens les buts poursuivis pendant ces cinquante années, c’est-à-dire découvrir, étudier, faire connaître, publier, vulgariser et en définitive, faire aimer notre passé giennois.
Mais je n’en ai pas encore terminé. Figurez-vous que j’ai fait dernièrement un rêve, qui, aussi bien aurait pu être réalité. Figurez-vous qu’un 7 octobre 1941, 25 personnes de tous âges entouraient un berceau, en l’occurrence un registre de procès-verbaux tout neuf. C’est qu’en effet ce jour-là était née la S.H.A.G. (oh ! le vilain sigle) mais il faut bien sacrifier sur l’autel des abréviations journalistiques ! 45 jours plus tard M. l’abbé GITTON rejoignait notre compagnie et le secrétaire en était déjà à la page 2 de son registre. Mais que diable l’abbé venait-il faire 45 jours plus tard ? Mais oui, la Providence des historiens et des archéologues l’envoyait pour porter la jeune S.H.A.G. sur les fonts baptismaux. Pas ceux de l’église Saint-Pierre, elle était détruite ; pas ceux de l’église Saint-Louis, elle aussi était détruite. Alors !… alors… le secrétaire inscrivit presque en haut de la page 2 : Séance du 23 novembre 1941…
Et puis les années passèrent et les collègues de la première heure (je veux dire séance) nous quittèrent, l’un après l’autre pour un autre lieu ou un autre monde.
Il y a quelques jours, M. Marcel PETIT, l’abbé GITTON et moi, nous promenions sur les quais (c’est mon rêve qui continue) en parlant de notre Loire et de notre pont à qui l’on ajoute des prothèses (c’est le sort des personnes âgées qui veulent toujours rester debout), lorsqu’un ami commun, nous croisant, nous demanda des nouvelle de notre cinquantenaire avec laquelle nous faisions route depuis sa naissance. L’un de nous, mais je crois que nous répondîmes tous les trois en chœur : Notre cinquantenaire est toujours modeste. Elle s’occupe toujours beaucoup des autres et, Dieu merci, elle va fort bien.
Guy CHEVALLIER.