Complainte du « Bronze errant »
Sur l’air du « Juif errant »
I
Arrivant à la gare
Par le train d’Orléans,
Je descendais dar’ dare
Notre Av’nue en rêvant
Quand, soudain, j’aperçois.
Un superbe Gaulois !
II
Respectueux et grave
Je lui dis : « Grand Vercin-
gétorix, ô vieux brave,
Que fais-tu sur ce ch’min ?
De ton geste éperdu
Qui, donc appelles-tu? »
III
Alors le grand Arverne
En fronçant le sourcil
De sa voix de caverne
De suit’ me répondit :
Oui, c’est moi, mon enfant
Qui suis le » Bronze Errant » !
IV
« D’abord à la mairie
On m’avait installé ;
Le Conseil que j’ennuie
M’ fit bien vit’ déloger
Au lieu dit : Port au Bois..
On n’ sait pas trop pourquoi.
V
« Mais là, nouveau déboire :
Depuis vingt ans bientôt,
Je contemplais la Loir
…Sans y voir un bateau;
Je m’disais « J’voudrais bien
R’garder passer les trains ! »
VI
« — La chose est très facile,
Me dit, l’air indulgent,
Un de nos bons édiles
Je m’en vais, sur-le-champ,
Soumettre ce projet
A Monsieur… Grosbonnet ».
VII
« Aussitôt l’on apporte
Des câbles, des leviers,
Un chariot me transporte,
Et me voilà sur pied.
Ici, je m’trouv’ très bien,
Mais ça manqu’ de voisins.
VIII
« Le lend’main, dès l’aurore,
Quand « Courte-Queue » passa,
Mon gest’ de sémaphore
Tout à coup l’inquiéta,
Et le mécanicien.
Bloqua d’suit’ tous ses freins.
IX
« Ici, j’suis très utile :
Au milieu d’tous ces ch’mins
J’indiqu’ celui d’la. ville
D’un geste de la main;
Me v’là — y a pas d’erreur
Poteau indicateur !
X
« Après tant de ballades,
Serai-j’ tranquille enfin ?
Avec mes goûts nomades,
Peut-être, un beau matin,
Je délog’rai d’ici
Pour aller en… Berry ! »
André CHENAL